Fait clé : les banques françaises affichent aujourd’hui des coussins de capital nettement renforcés — le ratio CET1 moyen des six grands groupes atteignait environ 15,5 % fin 2023 — ce qui illustre l’évolution profonde des exigences prudentielles depuis Bâle I jusqu’à Bâle III.
Ce que montre cette tendance, c’est une volonté de limiter le risque systémique : des règles plus strictes sur la qualité du capital et des coussins obligatoires visent à empêcher qu’une faillite bancaire ne propage la crise à l’ensemble de l’économie. Nous expliquons ici, pas à pas, comment se calcule le ratio de fonds propres, pourquoi il compte, et ce que cela signifie pour des acteurs comme BNP Paribas, Société Générale ou Crédit Agricole.
Qu’est‑ce que le ratio de fonds propres ? Définition et logique
Le ratio de fonds propres mesure la part du capital réel d’une banque par rapport à ses actifs, en tenant compte du risque. Autrement dit, il dit si une banque dispose de « vrais fonds » capables d’absorber des pertes sans mettre en péril ses créanciers ou l’économie.
- Fonds propres = capital social + réserves + instruments admis par le régulateur.
- Actifs = prêts, titres, liquidités, immobilisations ; tous ne pèsent pas de la même manière.
- Actifs pondérés par le risque (RWA) : la clé du ratio, car elle ajuste l’exposition selon la nature de l’actif.
Exemple concret : la banque régionale fictive « Banque du Midi » prête beaucoup aux PME locales et détient aussi des obligations d’État. Son ratio dépendra non seulement du montant total des prêts, mais de leur pondération selon le risque. Pour comprendre la mécanique complète du bilan, voir cet aperçu illustré d’un bilan comptable.

Pourquoi les pondérations et la qualité du capital importent
Comparer simplement fonds propres et actifs bruts serait trompeur : un million placé en obligations d’État ne présente pas le même risque qu’un million en prêts à des entreprises fragiles. D’où les pondérations et la hiérarchie du capital.
- CET1 (Common Equity Tier 1) : le capital dur, actions ordinaires et réserves.
- AT1 : instruments additionnels capables d’absorber les pertes (ex. CoCo bonds).
- Tier 2 : dettes subordonnées longues utilisables en dernier recours.
Pour aller plus loin sur la notion de dette et d’obligation, cet article sur les traits essentiels d’une obligation fournit un complément utile.
Insight : la robustesse d’une banque se lit autant dans la nature de son capital que dans la composition de son bilan.
De Bâle I à Bâle III : l’évolution du cadre et ses implications pratiques
En filigrane, la réglementation a cherché à corriger des erreurs d’appréciation des risques et la procyclicité des modèles. Bâle I posait une règle simple ; Bâle II a multiplié les modèles ; Bâle III a introduit la macroprudence et des coussins.
- Bâle I (Cooke) : ratio minimal 8 % des actifs pondérés, avec au moins 4 % en Tier 1.
- Bâle II : intégration du risque de marché et du risque opérationnel, recours aux modèles internes (IRB).
- Bâle III : renforcement du CET1, planchers par catégorie et introduction des coussins macroprudentiels.

Bâle II : opportunités et limites des modèles internes
Bâle II a permis aux banques d’utiliser des modèles internes pour estimer la probabilité de défaut (PD), la perte en cas de défaut (LGD) ou l’exposition (EAD). Mais ces modèles ont montré leurs limites lors de crises.
- Approches IRB (F-IRB, A-IRB) : autonomie accrue, mais complexité et risque d’optimisation réglementaire.
- Critique : les modèles internes peuvent sous‑estimer le risque en période d’euphorie.
- Réaction : Bâle III impose un plancher de 72,5 % des exigences calculées par modèle standard.
Pour comprendre comment des crises passées ont façonné ces choix, lire ce retour sur la crise des subprimes.
Les coussins de fonds propres et la macroprudence : ce qui change réellement
Bâle III a introduit des coussins destinés à lisser l’impact cyclique et à protéger l’ensemble du système.
- Coussin de conservation (CCoB) : 2,5 % de CET1 pour tous, destinés à limiter les distributions en période de stress.
- Coussin contracyclique (CCyB) : variable, jusqu’à 2,5 % selon les risques macrofinanciers.
- Surcharge G‑SIB : jusqu’à 3,5 % pour les banques systémiques (ex. BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale, BPCE).
Au total, le plancher CET1 peut dépasser 13 % selon les combinaisons, et le ratio T1+T2 atteindre des niveaux proches de 17,5 % en pratique.

Conséquences pour les banques : coûts, stratégie et compétitivité
Des exigences plus élevées pèsent sur la capacité de prêt et la rentabilité. Les établissements doivent arbitrer entre : lever du capital, réduire l’actif risqué, ou optimiser la structure du bilan.
- Augmentation du coût du capital pour les banques et potentiellement pour les emprunteurs.
- Pression sur la marge nette d’intérêt, incitant à la digitalisation et à la diversification.
- Renforcement du rôle des superviseurs nationaux comme la Banque de France et l’ACPR.
Insight : ces exigences protègent le système, mais obligent les banques à repenser leur modèle d’affaires.
Application concrète en France : risques, pratiques et exemples
Les grandes banques françaises ont, depuis la crise, accumulé du capital. L’ACPR souligne une amélioration structurelle des ratios et de la liquidité.
- Banques concernées : BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole, BPCE, Crédit Mutuel, La Banque Postale, HSBC France, Natixis, Boursorama Banque.
- Situation 2023‑2025 : ratio CET1 moyen des principaux groupes autour de 15,5 %, gage de résilience.
- Supervision : tests de résistance menés par l’ACPR et la Banque de France.
Cas illustratif : la « Banque du Midi » fait face à une hausse des défauts sectoriels. Grâce à un CET1 supérieur à 12 %, elle peut absorber des pertes sans recourir à des ventes forcées, évitant ainsi un phénomène de contagion locale.

Pour les particuliers et les entreprises, comprendre les mécanismes de solvabilité revient aussi à mieux saisir l’effet de levier ou les garanties demandées lors d’un prêt. Ces notions sont expliquées dans des ressources pratiques comme comprendre l’effet de levier et les garanties indispensables pour un prêt immobilier.
Que doivent surveiller les observateurs et les clients ?
Trois points d’attention pour les épargnants, chefs d’entreprise et régulateurs :
- La qualité du CET1 : plus que le chiffre, c’est sa composition qui compte.
- Les coussins macroprudentiels activés par l’autorité nationale.
- La dépendance aux modèles internes pour le calcul des RWA.
Insight : un ratio élevé rassure, mais la vigilance porte sur la qualité du capital et les risques cachés (ex. CVA, exposition de marché).

Comment lire un ratio et agir : guide pratique pour un dirigeant de banque
Un directeur financier doit jongler entre conformité et performance. Voici une check‑list opérationnelle :
- Vérifier la composition du CET1 et la présence d’éléments non récurrents.
- Comparer les RWA calculés selon modèle interne et méthode standard.
- Simuler des stress tests incluant CVA et risques de marché.
- Planifier une augmentation de capital ou une réduction d’actifs risqués si nécessaire.
Outils pratiques et diagnostics destinés aux responsables sont disponibles, par exemple cet outil pour évaluer le niveau d’endettement, qui peut servir de base à des analyses internes.

Insight : anticiper reste la meilleure protection : les coussins existent pour donner du temps de réaction, pas pour masquer des fragilités.
Risques émergents et débats en 2025 autour du ratio de solvabilité
Les discussions en 2025 portent sur l’équilibre entre sécurité et financement de l’économie. La réglementation évolue pour intégrer des risques nouveaux et corriger les biais procycliques.
- Débat sur la place des modèles internes et la transparence des calculs.
- Intégration plus large du risque climatique dans les pondérations de risque.
- Réflexion sur les outils macroprudentiels pour les banques numériques et non bancaires.
Pour replacer ces enjeux dans une perspective historique et pédagogique, ce billet sur comprendre la solvabilité offre un bon point de départ. Et pour les analogies historiques, la série d’articles sur les chocs pétroliers explique comment des ruptures exogènes peuvent redessiner la finance, cf. les répercussions des chocs pétroliers.

Insight : la régulation doit rester adaptable : protéger le système sans étouffer la capacité de financement de l’économie.
Qu’est‑ce qu’un ratio CET1 et pourquoi est‑il central ?
Le CET1 (Common Equity Tier 1) regroupe le capital le plus fiable : actions ordinaires et réserves. Il sert de première ligne de défense contre les pertes et constitue le principal indicateur de solvabilité prudentielle.
Comment les actifs sont‑ils pondérés par le risque ?
Les actifs sont ajustés par des coefficients selon leur nature : 0 % pour certains titres d’État, 20–50 % pour des prêts de qualité, 100 % pour des expositions risquées. Ces pondérations déterminent les actifs pondérés par le risque (RWA) utilisés dans le ratio.
Que sont les coussins contracycliques et comment ils sont activés ?
Le coussin contracyclique (CCyB) est un supplément de CET1, activé par les autorités nationales lorsque les risques macrofinanciers augmentent ; il peut aller jusqu’à 2,5 % pour limiter l’amplification des cycles financiers.
Pourquoi les modèles internes posent‑ils problème ?
Les modèles internes peuvent offrir une meilleure sensibilité au risque mais sont complexes et parfois opaques, ce qui peut conduire à une sous‑estimation des besoins en capital. Bâle III a donc introduit des planchers et des limites d’utilisation.
Comment un particulier peut‑il interpréter ces ratios ?
Pour un particulier, un ratio élevé signifie que sa banque est vraisemblablement plus résiliente. Mais l’attention doit porter aussi sur la liquidité, la diversification des activités et la santé macroéconomique globale.
